Les choix des libraires

Nous recevons aujourd'hui, mercredi 14 août, le poète Julien d'Abrigeon pour une lecture-performance. Voici des extraits de deux de ses livres publiés aux éditions Léo Scheer.



Le Zaroff est le deuxième livre de Julien d'Abrigeon. Zaroff a un talent incontesté pour la dissimulation des corps et le recouvrement de traces en plus de manier le couteau comme personne et de savoir écraser une trachée en moins de deux. Il tue, c'est tout ce qu'il sait faire et c'est son métier. L'auteur suit son parcours composé de "chasse", "traques" et autres "cavales", destin que le lecteur peut à loisir manipuler.


"Sortie n°24

L'espace s'étend. Les lignes s'élargissent, se lancent, se jettent, frappent sur les rocs des montagnes. L'espace étendu s'ouvre à la plaine, la plaine est offerte exposée aux vents, en plaine. La distance prise, de la hauteur. La lande frappent de vent. Les joues subissent. L'agressivité du vent est saine, elle frappe, elle glace mais blesse à peine, nous le savons. L'espace se défoule en déversant une violence sèche. Il est là pour être en terrain violemment neutre, où tout se joue. La plaine centre le terrain des échanges. Le milieu manque de tempérance et ce qui me souffle au visage, ce qui me gifle les joues, apporte sa source de reconnaissance. le vent n'est pas là pour me frapper, mais il le fait. Il n'est pas là pour m'abattre, il le peut. Son souffle n'a pas de motif valable."


Julien d'Abrigeon, Le Zaroff, éditions Léo Scheer,
collection Laureli, 2009

Dans Microfilms, le poète nous livre cinq cents "microfilms" sur notre monde contemporain à travers le prisme de la télévision et du cinéma. Un portrait cocasse de notre époque dressé par un auteur à l'humour acide. Un livre à dévorer d'une traite ou à picorer, quoi qu'il en soit un livre à partager.

"Au Nord, rien de nouveau
Au Nouveau-Mexique, après avoir goûté la nouvelle téquila, les habitants font une nouvelle sieste avec leurs nouveaux chapeaux sur les nouveaux rails du nouveau train. Un film novateur qui recycle des vieux clichés."

Julien d'Abrigeon, Microfilms, éditions Léo Scheer, 
coll. Laureli, 2011, p.61

"Et si ce n'était pas faux
Jean est mort. Marie, sa femme, lui survit. Chichomancienne, elle parvient à communiquer avec lui en lisant ses pensées dans des peaux de pois chiches. Sensible adaptation de Marc Lévy".

                                                        Julien d'Abrigeon, Microfilms, éditions Léo Scheer, 
coll. Laureli, 2011, p. 37


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Patrick Varetz est né en 1958 à Marles-les-Mines, dans le Pas-de-Calais, où il a passé sa première nuit dans un carton à chaussures (pointure quarante-et-un). Il vit et travaille à Lille, ce soir il sera à la librairie La Part de l'Ange pour échanger autour d'un verre de Zélige Caravent.
Sont disponibles à la librairie les deux titres parut aux éditions P.O.L : Bas monde (2012) et Jusqu'au bonheur (2010).
Dans Bas monde c'est la voix d'un enfant à naître qui s'élève et nous projette dans un monde sans amour, dominé par la violence et la folie de ses parents. Loin de l'épanchement ou de la condamnation, l'écriture est dans la maîtrise, l'écriture est pensée. Tout le contraire de ce père qui cherche en vain ses mots (des insultes) dans ses accès de violence.

Voici deux extraits :

"Le désir et la colère, si tant est que ces deux mots désignent des pulsions différentes, relèvent en nous d'une contrariété animale dont nous ne parvenons mal à nous départir."
Bas monde, éditions P.O.L, 2012, p.17.

"La douleur des autres nous est-elle toujours à ce point, familière ? Ou alors, cela tient-il à moi ? Auquel cas, de quel lait se nourrit la relation si particulière que j'entretiens avec le monde ? Est-ce le verbe étonnamment vivace en moi qui l'alimente, ou est-ce l'étroitesse de notre deux-pièces qui, plus prosaïquement, me contraint à pénétrer les consciences ? Que je maintienne un tel lien, privilégié et tacite avec ma mère, cela peut se concevoir. Mais qu'à d'autres moments je m'introduise aussi impunément dans l'esprit de mon père ou sous le crâne de Caudron, voilà qui ne laisse pas de m'interroger.Et s'il n'était question, encore, que des êtres vivants. La frontière qui me sépare des matières et des objets se révèle, en l'espèce, tout aussi poreuse."
Bas monde, éditions P.O.L, 2012, p.79.






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Le 26 juillet prochain la Part de l'Ange reçoit Claude Llena pour parler de l'économie informelle à Cochabamba. Professeur certifié de sciences économiques et sociales, Claude Llena vient nous présenter son travail de recherche sur cette ville de Bolivie, travail publié aux éditions Le pédalo ivre (Lyon).



Dans l'extrait qui suit nous abordons la question de l'objectivité demandée par ce travail universitaire. En effet, l'enquête de terrain mène l'observateur à sympathiser, à créer des liens d'amitié avec les personnes rencontrées. Dans son livre Claude Llena avoue la difficulté qu'il a à ne pas mêler les émotions à son écrit scientifique. Une interrogation sur laquelle nous pourrons certainement revenir vendredi prochain.

"Après mon retour, j'ai synthétisé l'ensemble des données, des sensations, des émotions que j'avais pu collecter sur le terrain. Je dois avouer qu'elles étaient nombreuses. J'ai vécu avec beaucoup d'intensité cette période. Il ma fallait prendre un peu de recul pour chercher à faire le tri de toutes ces impressions. Dans ce cas précis, la passion qui m'avait porté durant toute la période de réflexion, puis d'action sur le terrain, n'était pas forcément la meilleure alliée pour percevoir l'essentiel de la question."


Claude Llena, Cochabamba, p.73, éditions Le pédalo ivre, Lyon, 2012.

Dans l'extrait suivant l'auteur cite rapidement quelques unes des activités de l'économie informelle. On perçoit ici un des enjeux de telles activités : "au service du plus grand nombre". La rencontre qui a lieu ce soir à La Part de l'Ange sera l'occasion de revenir sur ces différentes professions et plus globalement sur le mode de vie des acteurs de cette économie en Bolivie.

"Vente de soupe sur le trottoir, lavage raisonnable de voiture, restauration populaire, vendeur de journaux à bicyclette, rémouleur de rue, ateliers informels ou clandestins... La diversité de l'économie populaire est aussi variée que les idées de survie des populations exclues. Inscrites dans une résilience d'adaptation, elles développent des pratiques innovantes au service du plus grand nombre."


Claude Llena, Cochabamba, p.155, éditions Le pédalo ivre, Lyon, 2012.


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Le 28 juin dernier La Part de l'Ange recevait l'écrivain Jacques Serena. C'est autour d'un verre de vin (Velvet) que l'auteur nous a offert quelques textes inédits. Jacques Serena nous parle du temps qu'il faut pour digérer les événements avant de pouvoir écrire, temps nécessaire à la naissance de l'autodérision. Ne pas se prendre au sérieux pour mieux faire passer son expérience du monde. Ainsi de l'écriture aphoristique au théâtre l'auteur nous crie ses vérités avec une certaine douceur dans le rire. Douceur qui montre au lecteur la possibilité d'un autre regard sur le quotidien.

Livres disponibles à la librairie :
Sous le néflier, éditions de Minuit, Paris, 2007
Les Fiévreuses, éditions Argol, Paris, 2005
L'acrobate, éditions de Minuit, Paris, 2004
Velvette, Les Solitaires Intempestifs éditions, Besançon, 2000
Quart d'heure, Les Solitaires Intempestifs éditions, Besançon, 2000



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"A 50 mètres d'ici, il y a deux semaines, un homme s'est défenestré. Les gens le regardaient mourir, on avait appelé les pompiers et le Samu. C'était un Noir aux cheveux gris. Une jeune femme sortie en pantalon et veste de pyjama à rayures arc-en-ciel a dit à sa voisine arrivée après elle sur les lieux que c'était un enfant. Elle l'a répété à son tour. Moi j'ai dit non, c'est un homme. Mais rien à faire. Rumeurs. [...] Puis la torpeur de rien du tout a repris le dessus, le ciel était trop bleu ce jour-là."

Dominique Fabre, Des nuages et des tours, éditions de l'Olivier, 2013.

Dominique Fabre a élaboré cette chronique aux hasards de ses déambulations solitaires dans le quartier d'Yvry où il vivait. On voyage beaucoup dans un Paris dont les rues changent peu à peu. L'auteur nous transmet le goût du temps qui passe en nous racontant les jours et les nuits des gens repoussés vers la périphérie. Ainsi, en ouvrant les yeux sur son environnement, Dominique Fabre nous apprend à observer et aimer ce que la vie de quartier a de merveilleux et le quotidien de surprises.

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"Juste deux mots
ou trois
mais chaque jour, s'il te plaît,
dis-les moi."

Dominique Fabre, Au bout des machines à écrire, éditions Cousu main, mars 2013.

Rien de tel qu'un poème pour annoncer un programme, une intention, une volonté. Peut-être pas chaque jour mais chaque semaine la librairie vous proposera citations et lectures, poèmes, nouvelles ou romans à lire, relire, découvrir et partager.

Dominique Fabre a inauguré les rencontres du café en venant le 8 juin dernier à La Part de l'Ange. Le public était au rendez-vous et a pu apprécier l'humour et la clairvoyance de l'auteur sur le monde qui l'entoure.

Livres disponibles à la librairie :
Au bout des machines à écrire, éditions Cousu main, 2013, poésie.
Des nuages et des tours, éditions de l'Olivier, 2013, récit.
Avant les monstres, éditions Cadex, 2009, poésie.
Le Perron, éditions Cadex, 2006, nouvelle.

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